samedi 26 mai 2012

65e Festival international de Cannes — Sélection officielle

Le jeu de miroir

Le jeu de miroir
De notre envoyée spéciale Samira DAMI
Le marathon des films en compétition se poursuit et fort heureusement tous les grands noms du cinéma n’ont pas tous déçu lors de ce 65e Festival de Cannes. Tel Alain Resnais dont le premier long métrage, Hiroshima mon amour, écrit par Marguerite Duras, a permis, selon le réalisateur Louis Malle, « de faire un bond dans l’histoire du cinéma». En compétition avec Vous n’avez encore rien vu, il a séduit la majorité de la critique ainsi que le public cannois. Un autre nom important du cinéma africain, cette fois-ci, a convaincu lui aussi et ce n’est autre que Moussa Touré grâce à son dernier-né La pirogue, programmé dans la sélection officielle : «Un certain regard». Le détail.
90 ans et tout son savoir-faire artistique intact. Alain Resnais le réalisateur de Hiroshima mon amour et de La vie est un roman a séduit la majorité de la critique avec un 20e long-métrage, Vous n’avez encore rien vu qui s’est avéré d’une grande poésie et originalité cinématographique. Dans cet opus, programmé en compétition, Alain Resnais a convoqué tous les arts : le cinéma, le théâtre, la vidéo-télé, la poésie, la musique et cerise sur le gâteau la sensibilité aussi.
Le film s’ouvre sur une scène- trouvaille où un célèbre auteur dramatique, Antoine d’Anthac, convoque par-delà sa mort, tous les amis qui ont interprété sa pièce Eurydice. Ces treize comédiens ayant reçu chacun un message téléphonique ont pour mission de rejoindre la demeure du dramaturge et de visionner une captation d’une répétition de cette œuvre par une jeune troupe, la compagnie de la Colombe. En regardant, sur un grand écran, les jeunes comédiens répéter, leurs aînés qui ont tous à un moment de leur carrière joué le texte se remémorent graduellement et les souvenirs remontent : d’abord de bribes de répliques, ensuite toutes les répliques qu’ils ils se mettent, au final, à jouer, relayant, dans de longues séquences, la troupe des jeunes.
Comme dans un jeu de miroir, le réalisateur construit son film sur plusieurs niveaux dans un va-et-vient entre plusieurs espaces : le dedans, le dehors, la captation de la pièce, plusieurs niveaux de narration entre réalité et fiction et plusieurs registres de jeu, d’où la pléiade d’acteurs qui interprètent le film. Ainsi trois générations de comédiens campent Eurydice (Sabine Azéma, Anne Consigny et Vimala Pons) et Orphée (Pierre Arditi et Lambert Wilson et Sylvain Dieuaide). On l’aura compris il s’agit, en fait, d’une adaptation originale, moderne et lumineuse de Eurydice, la pièce de Jean Anouilh, mais aussi de Cher Antoine du même auteur. L’ensemble est inspiré du mythe d’Orphée, un chassé-croisé entre la vie, l’amour, le destin, la mort et même la vie après la mort, charriant une kyrielle de sentiments entre incertitude, jalousie, espoir et désespoir, souffrance et bonheur...
Mis à part le sens, Resnais explore la relation entre le cinéma et le théâtre, en particulier, et l’écriture en général, il les fait se rencontrer grâce à son imaginaire, mais en se fondant sur le jeu des comédiens qui sont à la fois comédiens de théâtre et de cinéma et auxquels il rend hommage. Une belle brochette d’acteurs, il est vrai : Michel Piccoli, Pierre Arditi, Lambert Wilson, Hippolyte Girardot, Sabine Azéma, Anne Consigny, Anny Duperey, Mathieu Amalric, et d’autres. Encore une fois, Alain Resnais, comme l’ont si bien affirmé ses biographes, «arpente la mémoire en composant ses films».
Ayant obtenu, en 2009, un Prix spécial à Cannes pour l’ensemble de son œuvre à l’occasion de la projection en compétition de Les herbes folles, le réalisateur de Smoking/No Smoking arrivera-t-il à séduire aussi le jury de cette 65e édition et son président Nanni Moretti ? Le palmarès nous le dira.

Et La pirogue de Moussa Touré va

La Pirogue du Sénégalais Moussa Touré, film hors compétition, se focalise sur l’immigration clandestine et les victimes de marchands de faux rêves comme il en existe partout en Afrique. Il est dédié aux 5000 Africains de l’ouest qui ont péri en mer sur des embarcations de fortune, en essayant d’atteindre les côtes de l’Europe. Le film s’ouvre sur une scène de lutte traditionnelle afin de donner le ton, or, il sera justement marqué par une lutte acharnée pour la survie et pour la réalisation du rêve afin d’échapper à la misère. Car, ces voyageurs clandestins qui aspirent à un ailleurs plus clément et meilleur sont la victime d’une chaîne d’exploiteurs et de responsables : l’Etat qui laisse faire au lieu de faire travailler les jeunes et les passeurs cyniques qui ne sont intéressés que par le profit.
Dans un quasi -huis clos, le réalisateur de Toubab Bi et de Poussières de ville filme les dangers de la traversée dans cette pirogue, captée tel un personnage principal, et qu’il a exploité dans ses moindres angles et recoins. Le récit s’égrène au fil des situations tantôt calmes, tantôt tendues, les personnages de différentes origines ethniques dont une seule femme, s’agitent soit dans la complicité et la solidarité soit dans l’adversité et la rancœur. Les tensions, la peur, les moments de doute, d’espoir ponctuent le récit non dénué de rebondissements, comme lorsque une bagarre surgit, quand le moteur de la barque s’arrête ou qu’une grande tempête survient et que la mort guette. Touré réussit à interpeller, voire à susciter l’émotion, lorsque un père tient son fils mort dans les bras ou quand s’élèvent dans le ciel gris ou clair ces complaintes africaines déchirantes sur la vie et la mort. Touré réussit, également, à placer son message : tout ce calvaire et ces milliers de morts, juste pour un ailleurs incertain et des horizons bouchés, se justifient-ils encore et toujours alors que la crise sévit partout, même en Occident, et que les frontières sont hermétiquement fermées ? Ne vaudrait-il pas mieux essayer de s’en sortir chez soi dans son propre pays, s’interroge le réalisateur ?
La mise en scène se particularise par sa sobriété si l’on excepte quelques lenteurs dans le rythme et cette scène incompréhensible montrant trois protagonistes se jetant dans l’eau alors que les mobiles de leur geste ne sont pas apparents. Et cette scène si éloquente, si attachante où, comme dans un jeu de miroir, se profilent la savane sénégalaise et un arbre séculaire dans le souvenir d’un des personnages, un vieil homme, si digne, mais contraint à l’exil soulignant, ainsi, l’importance des racines et de l’identité. Maîtrisé, le filmage favorise les gros plans et le cadrage en biais afin de suggérer cet autre horizon que scrutent et auquel aspirent les passagers clandestins. Cependant la multiplication des regards entre les différents personnages n’est pas du meilleur effet et semble superflue. Interprété dans la justesse par Souleymane Seye Ndiaye, Laîty Fall et Balla Diarra La Pirogue ne fait que confirmer le talent de Moussa Touré convaincant dans ce drame social à dimension continentale tant il concerne aussi bien l’Afrique que bien d’autres continents.
Auteur : S.D.

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