dimanche 27 mai 2012

CINÉMA : 65e Festival international de Cannes, sélection officielle, séance spéciale

Le serment de Tobrouk : le regard narcissique de B.H.L. sur la révolution libyenne


Le serment de Tobrouk : le regard narcissique  de B.H.L. sur la révolution libyenne

...Ce soir le palmarès
De notre envoyée spéciale à Cannes
Samira DAMI
En attendant la proclamation du palmarès, ce soir, focalisons-nous sur Le serment de Tobrouk  film- documentaire coréalisé par Bernard Henry Levy (B.H.L.) et Marc Roussel, qui a été projeté hier en séance spéciale au 65e festival de Cannes. Toutefois, contrairement à la tradition, c’est la conférence de presse qui a précédé la projection du film. Afin de justifier cette exception, Thierry Frémaux, le délégué général du festival, a expliqué: «Nous voulions que la conférence porte sur ce dont parle le film et non sur le film lui-même». Entouré d’une délégation libyenne composée d’acteurs de la Révolution, qui sont également des personnages du film,  ainsi que des représentants de l’insurrection syrienne dont deux hommes aux visages cachés par des lunettes noires et un drapeau vert, B.H.L. a révélé que ces deux «déserteurs» «venaient d’arriver,  il y a quelques heures, de Syrie dont ils sont sortis clandestinement pour voir le film».
Le serment de Tobrouk raconte la Révolution, ou plutôt la guerre libyenne, vue de l’intérieur par l’écrivain et philosophe devenu activiste, dès les années 90, quand il a joué au témoin engagé dans les guerres et conflits d’Afghanistan,  de Bosnie et du Darfour.
C’est de son propre point de vue à la limite narcissique que B.H.L. vogue, pendant six mois, du printemps à l’automne 2011, d’une capitale à l’autre, Paris, Londres, Washington... pour convaincre les grands de ce monde Nicolas Sarkozy, Hillary Clinton, John Cameron, de la nécessité d’une intervention militaire en Libye pour venir en aide au peuple libyen, qui risque un massacre, ainsi qu’ aux révolutionnaires contre l’oppression et la dictature. B.H.L. a même rencontré Netanyahou et Ehud Barak pour les convaincre d’aider les révolutionnaires. Il faudrait, donc, comprendre qu’Israël a également contribué à la chute de Gueddafi.
Témoin, acteur et narrateur, le coréalisateur est le personnage central et moteur du film : costume noir et chemise blanche, incontournable, il est sur tous les fronts : Misrata, Djebel Nafoussa, Bani-Walid, Tripoli, sur terre,  air et mer, dans divers décors, entre désert, villes, villages et ruines et salons libyens et parisiens où il négocie la venue du CNT à Paris, l’ouverture d’un deuxième front à Nafoussa, la reconnaissance du CNT par le Sénégal  et autres actions jusqu’à la victoire finale marquée par la mort de Gueddafi, scène qui ouvre le film, lequel commence, paradoxalement,  par la fin.
B.H.L. monopolise  l’image, mais aussi la bande son puisqu’il raconte, en off, ce journal intime d’une guerre «peut-être pas encore finie» selon lui et dont il justifie  le bien-fondé, quel qu’en soient les dérapages, entre violence, extrémisme religieux, application de la charia, etc. «C’est une action qu’il fallait entreprendre», énonce le propos.
Filmé de manière subjective, du point de vue de l’auteur, cet opus prône «le droit à l’ingérence,  pour arrêter le massacre d’un peuple». C’est pourquoi il mène la danse à la tête d’un groupe d’activistes libyens, Souleiman Fortia, architecte incarnant la résistance de la ville de Misrata, Mansour Sayf Al-Nasr, opposant de la première heure à Gueddafi depuis le début de son règne, Ali Zeidan, président de la Ligue des droits de l’Homme libyenne, et l’un des trois membres du C.N.T. représentant itinérant du président du C.N.T. Mustapha Abdeljelil...C’est à croire que la victoire des rebelles libyens est due à l’action politique menée par l’auteur-réalisateur de Bosna. Et les révolutionnaires ? N’est-ce pas eux qui ont mené cette révolution ?
Au plan de la forme, ce long-métrage, qui a été filmé avec un appareil photo Canon 5D transformé en caméra, relève du documentaire politique informatif relatant à la première personne le making of d’une guerre à travers le prisme et le regard personnel de son auteur déroulant au fil du récit, de manière démonstrative,  ses dires et allégations.
Au cours de la conférence de presse, le coréalisateur a insisté sur le fait que la présentation du film à Cannes a, notamment, pour but «de convaincre que la communauté internationale peut se donner les moyens militaires et moraux, comme ce fut le cas concernant la Libye, d’intervenir en Syrie où se trame, souligne-t-il, une tragédie» Propos relayé par l’intervention des deux hommes masqués syriens qui ont relaté «la tragédie que vit la Syrie au rythme quotidien des morts, des destructions et de l’exil contraint de la population». Et de s’étonner que la communauté internationale n’intervienne pas, comme en Libye, contre la dictature  et l’oppression. C’est ce qu’ont répété, d’ailleurs, la plupart des intervenants libyens, qui ont au passage remercié B.H.L. et l’Occident pour leur contribution au changement en Libye, et des opposants syriens lors de la  conférence de presse, transmettant ainsi un message clair et limpide à l’Occident.
Quoique certaines questions des journalistes aient été éludées, telle cette question d’un journaliste israélien demandant si la Libye comptait établir des relations avec Israël, les intervenants ont répondu à d’autres. Interrogé sur son positionnement par rapport à l’application de la charia en Libye B.H.L. a rétorqué :  «On ne peut pas dire que la Libye a établi la Charia, si je me suis battu à Tripoli et à Nafoussa, c’est pour la réconciliation entre le monde islamique et la démocratie. C’est le sens de mon combat et je reste persuadé que l’Islam peut s’incorporer  et faire alliance avec les grands principes de la démocratie». Il a également réfuté les combats entre le CNT et les rebelles, affirmant «qu’il ne faut pas croire qu’au mal succède le bien, mais un moindre mal».
«La révolution libyenne serait-elle motivée, comme le pense  une bonne partie de l’opinion internationale, par des intérêts économiques, dont notamment la mainmise sur le pétrole, et celle syrienne aurait-elle pour but d’affaiblir la Syrie» ? A cette question de La Presse, le philosophe-activiste  a répondu : «Dire que la révolution libyenne a pour enjeu le pétrole est une sottise, car c’est la première intervention militaire qui n’a aucun enjeu : ni d’occupation, ni de colonisation comme c’était le cas en Irak. Arrêtez les théories conspirationistes et nettoyez vos écrans ! Maintenant dire que l’intervention en Syrie viserait à affaiblir l’Iran, je dirai, au risque de vous choquer, que je ne suis pas contre, la Syrie est le bras armé de l’Iran...Je souhaite que ce que nous racontons dans le film vaille pour la Syrie et j’en suis partisan quelles qu’en soient les motivations».  Enfin, concernant une question de l’AFP lui demandant comment peut-il se considérer ami des libyens alors qu’il considère que le Golan est une terre sacrée d’Israël,  il a répondu : «Non je ne considère pas qu’il y ait de terre sacrée et sûrement pas celle-là».
S.D.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire