mardi 1 mai 2012


Retro 29 avril

Mais que reproche-t-on aux médias publics ?

Le sit-in devant le siège de la télé nationale a été levé, mercredi dernier, mais après que le sang ait quand même coulé, puisqu’il y a eu des blessés parmi les journalistes et les forces de l’ordre. Une violence inadmissible et intolérable. Ce sit-in qui a débuté, il y a prés de deux mois s’est tenu, selon les sit-inneurs, pour «Assainir les médias publics» et en finir avec «Al Iâlam El Banafsagi» (L’information aux couleurs mauve chère au président déchu) mais face à la résistance des journalistes et des employés de la «Maison» aux provocations, insultes et menaces, l’idée de privatiser les médias publics a été agité du côté d’Ennahdha par Rached Ghannouchi et Ameur  Laârayedh . Le premier a fait plusieurs déclarations dans ce sens , dont notamment aux quotidiens Echarq El Qataria et Oman et plus récemment, le mercredi dernier, à  la radio Express-FM où il a qualifié  la politique suivie par ces médias de «Contre-révolutionnaire», « Injuste» et «partisane»  ajoutant «que l’opinion publique n’est pas satisfaite du rendement  de ces médias financés par l’argent public» et de citer notamment El Watania 1 qui a tendance à amplifier les aspects négatifs, à manquer de professionnalisme et à ne pas accorder l’intérêt requis aux événements nationaux majeurs et à faire le black- out sur certaines activités des membres du gouvernement». Le chef du mouvement Ennahdha a même accusé certains médias publics «d’être les ennemis du peuple et de comploter contre lui».


Cette fixation sur les médias publics, notamment audiovisuels, tourne à l’obsession, à telle enseigne que ce vœu, loin d’être pieux, est désormais considéré, à leurs yeux, comme une demande, voire une exigence du peuple, comme s’il y avait eu vraiment un sondage échantillonné, neutre et objectif sur la question. Mais les exemples de manquement à l’objectivité et au professionnalisme, le plus souvent cité,  concernent surtout les activités des ministres du gouvernement. Aussi Rached Ghannouchi  sur Express-FM et Ameur Laârayedh  sur El Watania 1, reprochent-ils aux faiseurs du Journal Télévisé d’avoir zappé Les activités du ministre des Affaires Etrangères qui a visité il y a quelques semaines la Chine pour signer des accords économiques alors qu’ils ont couvert la visite du ministre syrien dans le même pays. Un autre exemple concerne l’absence de couverture de la visite du président de la République, Moncef Marzouki, en Libye. Mais les raisons, les tenants et  les aboutissants de ces prétendus « ratages» ont été explicités dans une émission de débat diffusé, mercredi dernier, sur la première chaîne réunissant notamment, des journalistes, le représentant syndical des techniciens de la télévision nationale, le rédacteur en chef du télé journal d’El Watania 1, objet de toutes les contestations, enfin Ameur Laârayedh  présent au nom d’Ennahdha. Un des journalistes a démontré que  la visite du Président en Libye a bel et bien été couverte, et  à trois reprises, avec les moyens du bord. Concernant la visite du ministre tunisien à Pékin le même journaliste a expliqué que les images n’étaient pas disponibles faute de moyens financiers, alors que le Rédacteur en chef a énoncé que la diffusion de l’information sur la visite du ministre syrien en Chine avait une importance stratégique eu égard aux événements en Syrie, outre que les images étaient gratuites. Ce qui n’a pas semblé convaincre leur interlocuteur. Journalistes et  technicien ont, ensuite, évoqué les difficultés  qu’ils vivent, entre financières et techniques, le manque de moyens matériels, les conditions de travail, l’absence de statut régissant la télévision, etc. Le rédacteur en chef du J.T. a indiqué que le 20H00 est concocté de manière professionnelle sans aucune considération idéologique ni  partisane, mais que c’est l’importance de l’événement qui prime dans la hiérarchisation des informations et que, selon lui, le mécontentement d’Ennahdha à propos du J.T.est dû à des motivations électorales, Ennahdha voulant profiter pleinement du journal télévisé tout en précisant que «les coups de fils et les pressions sur les journalistes existent encore» Surprenant que tout cela se passe après la Révolution non ? Bref, après un tel dialogue,qui fait place à la violence  des sit-inneurs, Ameur Laârayedh a fini par avouer que le débat est bénéfique et profitable à tous.

 Bref, pour notre part, ce qu’on pourrait déjà dire c’est que si en six mois Ennahdha  n’a capté que trois exemples, considérés comme un parti pris contre la Troïka, c’est que vraiment il n’y a pas grand-chose à reprocher à l’équipe du 20H00. On a souvent entendu, également, des ministres déclarer : «Le peuple n’est pas satisfait du rendement de la télé pourtant c’est le contribuable qui la finance» Or, en fait, la redevance –télé va directement au trésor public, la télévision n’en reçoit qu’une petite partie. La vérité c’est  que si le parti majoritaire estime qu’il y a «Hostilité contre le gouvernement» parce que les activités ne sont pas mises en exergue il faudrait d’abord qu’elles constituent en elle-même un événement. De plus, à chaque fois que le gouvernement a communiqué sur ses réalisations tous les organes, non seulement publics mais aussi privés, les affichent en «une», même s’ils n’ont pas toujours la possibilité de vérifier tous ces communiqués qui tombent sur le fil de manière verticale. Que faire de plus à moins de sombrer encore une fois dans la propagande mensongère, les faux chiffres, l’intox et la manipulation qui ont mené tout droit à la Révolution ? Que veut-on ? Que l’histoire se répète ou qu’on revienne au matraquage médiatique sur des réalisations bidon comme du temps de Ben Ali ? Si, c’est ça qu’on attend des médias publics, il faudrait déchanter car les journalistes ne sont plus prés à retomber dans les mêmes travers, ayant goûté à la liberté de traiter l’information d’une manière objective, libre et indépendante.

Ce qui est sûr, c’est qu’il existe un avant et un après le 23 octobre 2001 à la télé. Ainsi depuis le 14 janvier et avant les élections de la Constituante un vent de liberté a soufflé sur les organes de presse écrite et audiovisuelle publiques, puisque, et contrairement à l’époque de Ben Ali, l’on a constaté plus d’audace, d’objectivité, d’indépendance et de liberté dans le traitement de l’information. On a remarqué, également, que la pluralité politique a été démocratiquement reflétée, la majorité des partis, du plus grand au plus petit, ainsi que plusieurs représentants de la société civile ont été pratiquement de tous les débats et ont vu leurs activités bénéficier d’une couverture importante notamment Ennahdha.

 Après les élections les représentants de la Troïka sont plus présents sur les plateaux. «Mieux», certaines figures politiques de la Troïka se sont tellement galvaudées d’une émission à l’autre, d’un débat à l’autre, et même d’une chaîne, publique et privée à l’autre, qu’elles commencent à susciter la saturation des téléspectateurs qui, et c’est humain, ne souffrent pas la routine consistant à voir pratiquement les mêmes visages faire le tour des émissions et des chaînes. A moins que la Troïka ne veuille monologuer longuement sur  les choses de la politique et de la vie afin de chanter ses  propres louanges et louer ses «réalisations économiques, sociales et culturelles…» sans laisser aucune place ni à la critique, ni à l’opinion divergente. Ce qui  rebuteraient les téléspectateurs et mettrait fin à la dynamique créée par la Révolution et à la bonne audience dont jouissent, depuis, les organes audiovisuels publics. Il faut croire, en fait, que beaucoup parmi les membres de la Troïka font une confusion entre média gouvernemental et média public

Quant aux infos du 20H0, il est clair que la pression et le mécontentement du gouvernement sonnent comme le retour aux anciennes pratiques, car le plus souvent, le journal télévisé s’ouvre sur les activités officielles du Président de la République ou du gouvernement, tandis que les préoccupations du peuple et des citoyens, qui, devraient normalement occuper «la une» du 20H00 ne viennent qu’à la nième position dans des sujets très brefs reflétant une certaine parcimonie, qui frise l’autocensure, comme si ceux qui font le J.T. craignaient ou ménageaient le pouvoir en place. De quoi se demander est-ce la fin de la récréation et le retour des anciens reflexes des années de plomb ? En tout cas le conducteur du J.T. et la hiérarchisation de l’information porte à le croire, c’est qu’on peut se demander quel peut être, par exemple, l’intérêt de ce sujet et de ces images muettes montrant le président de la République entrain de recevoir les lettres de créance des nouveaux ambassadeurs à Tunis ? ça ne vous rappelles rien ? On dirait du déjà vu, non ? D’autre part un journaliste a affirmé, au cours du débat, que les activités du président  sont reçus façon PAD (prêt à la diffusion) directement de la salle de montage du palais de Carthage et qu’ils sont produits par la même équipe du temps du président déchu, et qu’El Watani 1 n’envoient pas ses propres équipes. Ce sont donc ceux là même qui critiquaient hier les pratiques de Ben Ali. Car, normalement chaque chaîne, publique ou privée, accréditée pour couvrir les activités du Président de la République a non seulement le droit, mais aussi le devoir, de choisir l’angle de traitement qui correspond à ses choix et à sa ligne éditoriale.

La privatisation des médias publics audiovisuels sera l’ultime recours si des réformes ne sont pas entamées a déclaré Rached  Ghannouchi . Ce qui s’avère incompréhensible et inacceptable d’autant que  même les pays les plus démocratiques (Amérique, Europe, Australie) possèdent leurs propres chaînes de télé et de radio publiques, telles France-Télévision (France 2, 3 et 5 et France 24 en arabe, français et anglais outre LCP, la chaîne parlementaire) Les chaînes Rai 1,2,3, en Italie, BBC en Grande -Bretagne (en arabe et en anglais) et nous en passons. Ces organes jouent le rôle de service public indépendant de tous les partis, les centres d’intérêt et des forces économiques, les chaînes privées n’obéissant qu’à l’intérêt du capital et au profit. Ils garantissent grâce à leur neutralité le pluralisme politique et la démocratie. On peut, par ailleurs, se poser la question : qui va acquérir à coups de centaines de milliards les télés et les radios mais aussi l’Agence Tunis-Afrique-Presse (TAP) car le service public n’englobe pas uniquement l’audiovisuel mais aussi les médias d’agence et de presse écrite. A moins que l’on compte y faire entrer le capital étranger ! Privatiser la TAP, c’est comme si la France privatisait l’AFP (Agence France Presse) ? Allons trêve de propositions biscornus et de faux débat, car le plus urgent, actuellement à la demande quasi générale des journalistes est de libérer et d’appliquer les deux décrets-lois 116 et 115, comme l’a recommandé, la semaine écoulée, dans un communiqué l’Inric (Instance nationale pour la réforme de l’information et de la communication). L’application de ces décrets qui concernent la réforme de l’information  s’avère nécessaire afin de garantir aux journalistes un cadre de travail adéquat et un climat de liberté favorisant une information neutre et indépendante. Certes les médias publics ont besoin de quelques réformes, entre autres dans le domaine de la gestion, mais de là à les céder au capital privé au dépens du peuple à qui ils appartiennent, c'en est trop.  A moins que, encore une fois, le gouvernement ne désire une information officielle et non point  indépendante  comptant, ainsi, assujettir de nouveau  ces médias au parti au pouvoir.

Que l’on s’occupe, donc, des vrais questions économiques, sociales, culturelles, judiciaires, sanitaires et autres du pays, car la fonction du gouvernement provisoire, dans cette période transitoire  est d’assurer avant tout la gestion du pays jusqu’aux prochaines élections et non pas de s’attaquer à des dossiers lourds qui nécessitent réflexion et dialogue ainsi qu’un débat en profondeur, d’abord avec les concernés eux-mêmes, soit les journalistes et le reste des employés de ces établissements, et avec toutes les autres parties du champ politique et civil, ensuite. Et comme le préconise, encore une fois, l’Inric, prenons exemple sur toutes les expériences connues concernant la réforme de l’information qui, selon elle, «attestent que les pays démocratiques préservent et renforcent leurs médias publics et surtout leurs médias audiovisuels, et c’est le cas, notamment, de l’Afrique du Sud, des Etats-Unis d’Amérique, des pays de l’Union Européenne et de l’Australie». Ainsi l’Instance met en garde contre la privatisation des médias du service public tout en exhortant le gouvernement «à mettre en place les instances indépendantes chargées de l’organisation du secteur et de la réflexion sur les meilleurs moyens de promouvoir l’information publique qui est la locomotive sans laquelle il serait inutile de réfléchir à une quelconque réforme».

Cela sans compter que les fondements législatif, constitutionnel et éthique des médias publics et privés postrévolutionnaires seront consignés par la Constituante dans la nouvelle Constitution du pays. Il ne faudrait, donc, pas mettre la charrue avant les bœufs. Chaque chose en son temps.

S.D.

 


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