Retro 29 avril
Mais que
reproche-t-on aux médias publics ?
Le sit-in devant le siège de la télé nationale a été levé,
mercredi dernier, mais après que le sang ait quand même coulé, puisqu’il y a eu
des blessés parmi les journalistes et les forces de l’ordre. Une violence
inadmissible et intolérable. Ce sit-in qui a débuté, il y a prés de deux mois
s’est tenu, selon les sit-inneurs, pour «Assainir les médias publics» et en
finir avec «Al Iâlam El Banafsagi» (L’information aux couleurs mauve chère au président
déchu) mais face à la résistance des journalistes et des employés de la
«Maison» aux provocations, insultes et menaces, l’idée de privatiser les médias
publics a été agité du côté d’Ennahdha par Rached Ghannouchi et Ameur Laârayedh . Le premier a fait plusieurs déclarations
dans ce sens , dont notamment aux quotidiens Echarq El Qataria et Oman et
plus récemment, le mercredi dernier,
à la radio Express-FM où il a
qualifié la politique suivie par ces
médias de «Contre-révolutionnaire», « Injuste» et «partisane» ajoutant «que
l’opinion publique n’est pas satisfaite du rendement de ces médias financés par l’argent public» et
de citer notamment El Watania 1 qui a tendance à amplifier les aspects
négatifs, à manquer de professionnalisme et à ne pas accorder l’intérêt requis
aux événements nationaux majeurs et à faire le black- out sur certaines
activités des membres du gouvernement». Le chef du mouvement Ennahdha a
même accusé certains médias publics «d’être
les ennemis du peuple et de comploter contre lui».
Cette fixation sur les médias publics, notamment
audiovisuels, tourne à l’obsession, à telle enseigne que ce vœu, loin d’être
pieux, est désormais considéré, à leurs yeux, comme une demande, voire une
exigence du peuple, comme s’il y avait eu vraiment un sondage échantillonné,
neutre et objectif sur la question. Mais les exemples de manquement à
l’objectivité et au professionnalisme, le plus souvent cité, concernent surtout les activités des ministres
du gouvernement. Aussi Rached Ghannouchi
sur Express-FM et Ameur Laârayedh
sur El Watania 1, reprochent-ils aux faiseurs du Journal Télévisé d’avoir
zappé Les activités du ministre des Affaires Etrangères qui a visité il y a
quelques semaines la Chine pour signer des accords économiques alors qu’ils ont
couvert la visite du ministre syrien dans le même pays. Un autre exemple
concerne l’absence de couverture de la visite du président de la République,
Moncef Marzouki, en Libye. Mais les raisons, les tenants et les aboutissants de ces prétendus
« ratages» ont été explicités dans une émission de débat diffusé, mercredi
dernier, sur la première chaîne réunissant notamment, des journalistes, le
représentant syndical des techniciens de la télévision nationale, le
rédacteur en chef du télé journal d’El Watania 1, objet de toutes les contestations,
enfin Ameur Laârayedh présent au nom d’Ennahdha. Un des journalistes a démontré que la visite du Président en Libye a bel et bien
été couverte, et à trois reprises, avec
les moyens du bord. Concernant la visite du ministre tunisien à Pékin le même
journaliste a expliqué que les images n’étaient pas disponibles faute de moyens
financiers, alors que le Rédacteur en chef a énoncé que la diffusion de l’information
sur la visite du ministre syrien en Chine avait une importance stratégique eu
égard aux événements en Syrie, outre que les images étaient gratuites. Ce
qui n’a pas semblé convaincre leur interlocuteur. Journalistes et technicien ont, ensuite, évoqué les
difficultés qu’ils vivent, entre financières
et techniques, le manque de moyens matériels, les conditions de travail, l’absence
de statut régissant la télévision, etc. Le rédacteur en chef du J.T. a indiqué
que le 20H00 est concocté de manière professionnelle sans aucune considération
idéologique ni partisane, mais que c’est
l’importance de l’événement qui prime dans la hiérarchisation des informations
et que, selon lui, le mécontentement d’Ennahdha à propos du J.T.est dû à des
motivations électorales, Ennahdha voulant profiter pleinement du journal télévisé
tout en précisant que «les coups de fils et les pressions sur les
journalistes existent encore» Surprenant que tout cela se passe après la
Révolution non ? Bref, après un tel dialogue,qui fait place à la
violence des sit-inneurs, Ameur
Laârayedh a fini par avouer que le débat est bénéfique et profitable à tous.
Bref, pour notre
part, ce qu’on pourrait déjà dire c’est que si en six mois Ennahdha n’a capté que trois exemples, considérés comme
un parti pris contre la Troïka, c’est que vraiment il n’y a pas grand-chose à
reprocher à l’équipe du 20H00. On a souvent entendu, également, des ministres
déclarer : «Le peuple n’est pas
satisfait du rendement de la télé pourtant c’est le contribuable qui la
finance» Or, en fait, la redevance –télé va directement au trésor public,
la télévision n’en reçoit qu’une petite partie. La vérité c’est que si le parti majoritaire estime qu’il y a
«Hostilité contre le gouvernement»
parce que les activités ne sont pas mises en exergue il faudrait d’abord
qu’elles constituent en elle-même un événement. De plus, à chaque fois que le gouvernement
a communiqué sur ses réalisations tous les organes, non seulement publics mais
aussi privés, les affichent en «une», même s’ils n’ont pas toujours la possibilité
de vérifier tous ces communiqués qui tombent sur le fil de manière verticale.
Que faire de plus à moins de sombrer encore une fois dans la propagande
mensongère, les faux chiffres, l’intox et la manipulation qui ont mené tout
droit à la Révolution ? Que veut-on ? Que l’histoire se répète ou
qu’on revienne au matraquage médiatique sur des réalisations bidon comme du
temps de Ben Ali ? Si, c’est ça qu’on attend des médias publics, il
faudrait déchanter car les journalistes ne sont plus prés à retomber dans les
mêmes travers, ayant goûté à la liberté de traiter l’information d’une manière
objective, libre et indépendante.
Ce qui est sûr, c’est qu’il existe un avant et un après le
23 octobre 2001 à la télé. Ainsi depuis le 14 janvier et avant les élections de
la Constituante un vent de liberté a soufflé sur les organes de presse écrite
et audiovisuelle publiques, puisque, et contrairement à l’époque de Ben Ali, l’on
a constaté plus d’audace, d’objectivité, d’indépendance et de liberté dans le
traitement de l’information. On a remarqué, également, que la pluralité politique
a été démocratiquement reflétée, la majorité des partis, du plus grand au plus
petit, ainsi que plusieurs représentants de la société civile ont été
pratiquement de tous les débats et ont vu leurs activités bénéficier d’une
couverture importante notamment Ennahdha.
Après les élections
les représentants de la Troïka sont plus présents sur les plateaux. «Mieux»,
certaines figures politiques de la Troïka se sont tellement galvaudées d’une
émission à l’autre, d’un débat à l’autre, et même d’une chaîne, publique et
privée à l’autre, qu’elles commencent à susciter la saturation des
téléspectateurs qui, et c’est humain, ne souffrent pas la routine consistant à voir
pratiquement les mêmes visages faire le tour des émissions et des chaînes. A
moins que la Troïka ne veuille monologuer longuement sur les choses de la politique et de la vie afin
de chanter ses propres louanges et louer
ses «réalisations économiques, sociales et culturelles…» sans laisser
aucune place ni à la critique, ni à l’opinion divergente. Ce qui rebuteraient les téléspectateurs et mettrait
fin à la dynamique créée par la Révolution et à la bonne audience dont
jouissent, depuis, les organes audiovisuels publics. Il faut croire, en fait,
que beaucoup parmi les membres de la Troïka font une confusion entre média
gouvernemental et média public
Quant aux infos du 20H0, il est clair que la pression et le
mécontentement du gouvernement sonnent comme le retour aux anciennes pratiques,
car le plus souvent, le journal télévisé s’ouvre sur les activités officielles
du Président de la République ou du gouvernement, tandis que les préoccupations
du peuple et des citoyens, qui, devraient normalement occuper «la une» du 20H00
ne viennent qu’à la nième position dans des sujets très brefs reflétant une
certaine parcimonie, qui frise l’autocensure, comme si ceux qui font le J.T.
craignaient ou ménageaient le pouvoir en place. De quoi se demander est-ce la
fin de la récréation et le retour des anciens reflexes des années de plomb ?
En tout cas le conducteur du J.T. et la hiérarchisation de l’information porte
à le croire, c’est qu’on peut se demander quel peut être, par exemple, l’intérêt
de ce sujet et de ces images muettes montrant le président de la République
entrain de recevoir les lettres de créance des nouveaux ambassadeurs à
Tunis ? ça ne vous rappelles rien ? On dirait du déjà vu, non ? D’autre part un journaliste a
affirmé, au cours du débat, que les activités du président sont reçus façon PAD (prêt à la diffusion)
directement de la salle de montage du palais de Carthage et qu’ils sont
produits par la même équipe du temps du président déchu, et qu’El Watani 1
n’envoient pas ses propres équipes. Ce sont donc ceux là même qui critiquaient
hier les pratiques de Ben Ali. Car, normalement chaque chaîne, publique ou
privée, accréditée pour couvrir les activités du Président de la République a
non seulement le droit, mais aussi le devoir, de choisir l’angle de traitement
qui correspond à ses choix et à sa ligne éditoriale.
La privatisation des médias publics audiovisuels sera
l’ultime recours si des réformes ne sont pas entamées a déclaré Rached
Ghannouchi . Ce qui s’avère incompréhensible
et inacceptable d’autant que même les
pays les plus démocratiques (Amérique, Europe, Australie) possèdent leurs
propres chaînes de télé et de radio publiques, telles France-Télévision (France
2, 3 et 5 et France 24 en arabe, français et anglais outre LCP, la chaîne
parlementaire) Les chaînes Rai 1,2,3, en Italie, BBC en Grande -Bretagne (en
arabe et en anglais) et nous en passons. Ces organes jouent le rôle de service
public indépendant de tous les partis, les centres d’intérêt et des forces
économiques, les chaînes privées n’obéissant qu’à l’intérêt du capital et au
profit. Ils garantissent grâce à leur neutralité le pluralisme politique et la
démocratie. On peut, par ailleurs, se poser la question : qui va acquérir
à coups de centaines de milliards les télés et les radios mais aussi l’Agence
Tunis-Afrique-Presse (TAP) car le service public n’englobe pas uniquement l’audiovisuel
mais aussi les médias d’agence et de presse écrite. A moins que l’on compte y
faire entrer le capital étranger ! Privatiser la TAP, c’est comme si la
France privatisait l’AFP (Agence France Presse) ? Allons trêve de propositions
biscornus et de faux débat, car le plus urgent, actuellement à la demande quasi
générale des journalistes est de libérer et d’appliquer les deux décrets-lois 116
et 115, comme l’a recommandé, la semaine écoulée, dans un communiqué l’Inric
(Instance nationale pour la réforme de l’information et de la communication).
L’application de ces décrets qui concernent la réforme de l’information s’avère nécessaire afin de garantir aux
journalistes un cadre de travail adéquat et un climat de liberté favorisant une
information neutre et indépendante. Certes les médias publics ont besoin de
quelques réformes, entre autres dans le domaine de la gestion, mais de là à les
céder au capital privé au dépens du peuple à qui ils appartiennent, c'en est trop. A moins
que, encore une fois, le gouvernement ne désire une information officielle et
non point indépendante comptant, ainsi, assujettir de nouveau ces médias au parti au pouvoir.
Que l’on s’occupe, donc, des vrais questions économiques,
sociales, culturelles, judiciaires, sanitaires et autres du pays, car la
fonction du gouvernement provisoire, dans cette période transitoire est d’assurer avant tout la gestion du pays
jusqu’aux prochaines élections et non pas de s’attaquer à des dossiers lourds qui
nécessitent réflexion et dialogue ainsi qu’un débat en profondeur, d’abord avec
les concernés eux-mêmes, soit les journalistes et le reste des employés de ces
établissements, et avec toutes les autres parties du champ politique et civil, ensuite.
Et comme le préconise, encore une fois, l’Inric, prenons exemple sur toutes les
expériences connues concernant la réforme de l’information qui, selon
elle, «attestent que les pays
démocratiques préservent et renforcent leurs médias publics et surtout leurs
médias audiovisuels, et c’est le cas, notamment, de l’Afrique du Sud, des Etats-Unis
d’Amérique, des pays de l’Union Européenne et de l’Australie». Ainsi
l’Instance met en garde contre la privatisation des médias du service public tout
en exhortant le gouvernement «à mettre
en place les instances indépendantes chargées de l’organisation du secteur et
de la réflexion sur les meilleurs moyens de promouvoir l’information publique
qui est la locomotive sans laquelle il serait inutile de réfléchir à une
quelconque réforme».
Cela sans compter que les fondements législatif, constitutionnel
et éthique des médias publics et privés postrévolutionnaires seront consignés
par la Constituante dans la nouvelle Constitution du pays. Il ne faudrait,
donc, pas mettre la charrue avant les bœufs. Chaque chose en son temps.
S.D.
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