samedi 26 mai 2012

Festival international de Cannes

Le temps des pronostics

Le temps des pronostics
De notre envoyée spéciale Samira DAMI
L’heure est au pronostic au Festival de Cannes et les films pressentis pour la palme ne sont pas légion, il faut dire que le 7e art n’est plus ce qu’il était comme si «l’île cinéma serait en décrue». Bref, les pronostics, à l’approche de la proclamation du palmarès, demain, parcourent la Croisette. Et c’est Amour de l’Autrichien Michael Haneke, mettant en scène deux octogénaires au crépuscule de leur vie, qui a jusqu’ici les faveurs de la critique internationale. Au-delà des montagnes du Roumain Cristian Mungiu, détenteur de la Palme d’or en 2007 avec Quatre mois, trois semaines et deux jours, qui propose une réflexion sur la religion et la responsabilité des religieux, à partir d’un fait divers : la mort d’une jeune fille, qui souffre d’une amitié perdue, après une séance d’exorcisme. Un film sobre sur l’amour et l’abandon. Dans la brume du Biélorusse Sergeï Loznitsa se décline comme le film du festival, merveilleusement ciselé dans une mise en scène profonde véhiculant des propos tout aussi important tant il pose des questions d’une actualité brûlante sur la guerre, la résistance, la traîtrise, la vengeance, la morale et la mort, etc. Mais s’il y a une quasi-unanimité sur les films les plus décevants tels Paperboy de l’Américain Lee Daniels, hué en séance de presse, malgré la présence dans le casting de Nicole Kidman dans des scènes chocs, Après la bataille de l’Egyptien Yousri Nasrallah, Reality de Matteo Garrone, Des hommes sans loi de l’Américain John Hillcoat... certains tels Holy Motors du Français Léos Carax ou encore Cosmopolis du Canadien David Conenberg, accueilli par la critique avec des applaudissements mais aussi des huées, ont divisé les festivaliers. Le détail.
Dans la brume fait partie de ces films qui peuvent être situés dans n’importe quelle époque tant son propos et ses questionnements sont universels : il s’agit de la confrontation entre deux résistants et un traître, Souchéna, dans une forêt russe en 1942, ses anciens camarades veulent l’exécuter parce qu’il est le seul rescapé d’un groupe de résistants biélorusses pendus par les Allemands pour un acte de sabotage. Cette adaptation du roman de Vasyl Bykov, écrivain biélorusse, sécrète une atmosphère sombre et oppressante d’une époque de guerre et de crise où l’homme est livré à lui-même et à sa propre vérité...Ciselé de main de maître dans des scènes composées comme des tableaux où dominent les gros plans, révélant la psychologie des personnages dans toute leur profondeur, Dans la brume laisse ses personnages anti-héros empêtrés dans le monde de la forêt, jungle sauvage et silencieuse, et dans le brouillard, l’avenir est brumeux, obscur, sans éclaircie. Ce qui laisse peu de place à l’espoir.
Parmi les films qui ont divisé la critique internationale et les festivaliers : Cosmopolis d’une actualité brûlante est une adaptation du roman de Don DeLillo (cette édition comporte beaucoup de films adaptés) qui fustige le capitalisme, spectre qui hante le monde à travers le personnage tragique d’un trader, un génie de la finance, Eric Parker (Robert Pattinson) quasi prisonnier de sa limousine blanche à la dérive dans les rues cahotiques de New York. En raison des embouteillages causés par la visite du président américain dans la ville, les manifestations contre le système financier et les funérailles d’un rappeur. Au milieu de cette cacophonie ambiante, Eric n’a qu’un désir : se couper les cheveux chez le coiffeur de son père dans le quartier pauvre de son enfance. A cette fin, il vivra une journée longue comme s’il avait vécu toute une vie. Dans sa «limo», il convoque ses conseillers, ses maitresses, son médecin...Comment se libérer de cette limousine, sorte d’écran entre lui et le monde ? La violence sera le choix ultime, le film étant une quête de libération et de liberté. Encore un film oppressant nous disant que le monde a besoin d’être purifié et nettoyé pour renaître à nouveau. Ce qu’on peut reprocher à ce film, quasi-entièrement tourné dans une limousine, c’est d’avoir collé au roman, à la virgule près, perdant ainsi en route le cinéma pour se noyer dans le verbe et le bavardage. Ce que ne supporte pas le cinéma. Sans compter que la séquence finale entre Eric et celui qui veut le tuer, d’une durée d’une vingtaine de minutes, qui aurait pu être un morceau d’anthologie est quasi ratée, car sans puissance, ni intensité, ni émotion. Cronenberg est loin de son chef-d’œuvre La promesse de l’ombre.
Holy Motors du Français Léos Carax a également divisé la critique. Ce troisième film français en compétition, met en scène l’errance de M. Oscar (Denis Lavant, comédien fétiche du réalisateur), la référence au cinéma est claire. Un voyage au bout de la nuit où un mystérieux personnage traverse Paris en limousine, conduite par son chauffeur, Céline, une grande dame blonde. Oscar change sans cesse d’identité et incarne en fait neuf personnages errant allant d’un décor à l’autre, s’arrêtant tantôt dans un cimetière, tantôt dans les égouts, tantôt dans la Samaritaine en rénovation. Ces décors sont habités par des personnages, façon fantômes ou façon virtuels, délurés. Le changement d’identité de M. Oscar correspond non seulement à une quête de soi, mais aussi à une «recherche du cinéma perdu». Il est vrai que Carax a vu juste : le cinéma n’est plus ce qu’il était... C’est pourquoi, en guise de renouveau et d’inventivité, fidèle à son style, il explore son propre cinéma pour proposer une plastique des plus fantasques. Mais à force de pousser sa recherche exploratrice, l’auteur de Les amants du pont neuf qui en profite pour stigmatiser, au passage, notre époque en déliquescence, en vient à faire sombrer également son récit dans l’errance et l’incohérence.
Auteur : S.D.

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