vendredi 2 novembre 2012

Entretien avec Elyès Fakhfakh, ministre du Tourisme


"L'image de la Tunisie à l'étranger ne correspond pas à la réalité"

La saison touristique a enregistré, lors des neuf premiers mois de l’année 2012, des signes tangibles de reprise, malgré une situation sécuritaire instable. Cette tendance à l’embellie semble, cependant, connaître un coup d’arrêt.
Les raisons en sont multiples : au plan local, les salafistes et autres mouvements radicaux commettent des forfaits de plus en plus violents, contrastant avec l’attitude permissive, voire laxiste, des pouvoirs publics.
Au plan international : les évènements sont relayés par certains médias et parfois montés en épingle, prenant «la forme d’un véritable acharnement médiatique». Afin de mieux saisir cette corrélation entre la nébuleuse salafiste et la tendance baissière du secteur touristique, La Presse a interrogé M. Elyès Fakhfakh, ministre du Tourisme. Entretien et éclairages.


Est-ce que face à la menace  salafiste, la saison touristique est hypothéquée vu surtout que la Fédération tunisienne de l’hôtellerie (FTH) s’inquiète : son président Mohamed Belaâjouza ayant en effet affirmé, hier, dans «Midi Show», sur Mosaïque FM, que les réservations sont au point mort et que les annulations pleuvent? 
Nous vivons, aujourd’hui, une période de transition avec toutes les difficultés qui en découlent, nous ne sommes donc  pas à l’abri de toute instabilité ayant un impact négatif sur le tourisme. Les tensions, les confrontations, les évènements du 9 avril, le couvre-feu décrété le 15 juin ont eu des conséquences négatives sur le tourisme. Néanmoins, durant les neuf premiers mois de l’année 2012, le secteur du tourisme a enregistré une bonne croissance de 35% en comparaison de 2011.
Mais l’attaque de l’ambassade des Etats-Unis, le 14 septembre, a eu un impact très négatif sur le secteur : l’arrêt brusque des réservations et l’annulation de 14 croisières américaines en Tunisie. Nous avons été au Salon du tourisme à Paris le 17 septembre et nous avons remarqué les retombées néfastes sur le secteur. Ce qui est dû à la couverture en continu des médias français qui ne cessent de rappeler les confrontations avec les salafistes et de les remettre au goût du jour, remontant jusqu’aux évènements de la faculté de La Manouba, en décembre dernier, comme on l’a vu avant-hier sur Canal+. Il y a donc un acharnement des médias français, mais nous essayons d’expliquer à nos partenaires français et européens que malgré certaines tensions et confrontations avec des groupes extrémistes, la situation sécuritaire est à 90% sûre sur l’ensemble du territoire. Dans tous les cas, l’image montrée dans les médias étrangers ne correspond pas à la réalité du pays.
Les 900.000 touristes français qui ont visité la Tunisie en 2012 n’ont jamais été la cible des salafistes ou de violences et ont remarqué par eux-mêmes que la réalité ne correspond pas à l’image que renvoient les médias français de la Tunisie.
Nous continuons à communiquer avec nos partenaires politiques européens, à inviter des tour-opérateurs, des agences de voyages et des journalistes. Il est dommage que  malgré la reprise enregistrée au cours de la saison 2012, on se retrouve dans une situation où l’on continue à rassurer les visiteurs sur l’état sécuritaire qui, je le répète, est quasi sûr.

A votre avis, la politique conduite par la Troïka face aux salafistes fait-elle assez pour éradiquer le phénomène? 
La Troïka fait tout ce qui est en son pouvoir pour maîtriser la sécurité. Nous nous trouvons dans une période post-révolutionnaire où nous sommes passés par une période de l’absence de l’Etat, et aujourd’hui que l’Etat  revient, l’appareil sécuritaire est de nouveau opérationnel...  

Mais ce qui s’est passé tout dernièrement à Tataouine et à Douar Hicher où un commandant de la Garde nationale a été agressé et la réaction des syndicats de base des forces de l’ordre et de la Garde nationale laissent planer des doutes sur la situation sécuritaire... 
Il est vrai que l’appareil sécuritaire souffre d’un manque de moyens pour sa protection, mais il y a aussi l’obligation de tenir compte des droits de l’Homme et de l’indépendance de la justice. Ce qui est une équation difficile or, dans ce contexte, la Troïka essaie d’améliorer son rendement par la maîtrise de la situation, mais on n’est pas toujours à l’abri des tensions.

Vous êtes donc satisfait du rendement de la Troïka...
Je remets les choses dans leur contexte. La Tunisie passe par une phase de transition démocratique où les libertés, entre autres de presse, sont garanties, la façon dont on présente la Tunisie ne correspond pas à la réalité. Il y a moins de six mois, nous avons commencé l’écriture de la Constitution. Aujourd’hui, nous avons un projet de Constitution qui va être discuté et adopté au début du mois de février 2013, sans compter la mise en place des instances des élections (Isie), de la magistrature et des médias qui vont assurer le processus démocratique. Nous avons un calendrier des élections, une économie qui ne s’est pas effondrée, des projets de réformes structurelles dans les régions et nous allons vers une stabilité quasi certaine.
Maintenant, pour en finir avec  cette période de transition, on ne doit pas oublier trois éléments : premièrement, adopter la Constitution qui doit correspondre à un large consensus et répondre aux attentes de la majorité. Deuxièmement, demeurer sur la pente positive que connaît l’économie. Troisièmement, éviter la bipolarisation entre Ennahdha et Nida Tounès, un parti enflé en quelque sorte par les médias.
Aujourd’hui, le discours politique prône la division du pays entre islamistes et modernistes, ce qui est catastrophique pour le pays. Or, en Tunisie, tous les citoyens sont musulmans et ont besoin de consensus et d’union nationale. Et ce n’est qu’une fois la Constitution terminée et les institutions mises en place selon la nouvelle Constitution qu’on peut opter pour la bipolarisation politique sans prendre de risques.

Ettakatol va-t-il constituer un front avec Ennahdha pour les prochaines élections ?
Je ne sais pas. Mais on essaiera avant les prochaines élections de se regrouper avec des formations qui partagent  notre vision sociale, économique et politique. A défaut, Ettakatol ira seul aux élections. Dans la phase actuelle, Ettakatol s’est uni avec Ennahdha, après le 23 octobre 2011, pour l’intérêt du pays afin de le faire sortir d’une phase délicate. Sans cette coalition, on serait encore dans une phase d’incertitude, encore à discuter de la présidence du pays et du gouvernement.
L’histoire dira que c’est grâce à cette coalition d’intérêt national qu’on a sauvé le pays. N’oubliez pas qu’Ettakatol a joué un rôle central en rapprochant les points de vue concernant notamment la nature du régime politique et qu’Ennahdha a fait des concessions.
Le choix que nous avons fait a mis en avant l’intérêt national et cela a coûté à notre parti des plumes, mais beaucoup ont compris notre attitude et respectent notre position et notre persévérance à respecter nos engagements.

Pour boucler la boucle, le président de la FTH reproche à votre ministère «son immobilisme». Or, peut-on promouvoir le tourisme alors qu’il y a une rupture de dialogue avec ceux qui sont censés représenter la profession, la FTH et la Ftav (Fédération tunisienne des agences de voyage) ?
Je ne veux pas polémiquer, mais je dirais que toute l’administration est mobilisée pour apporter son soutien à la profession. Nous travaillons selon un plan d’action et de communication. Le dialogue ne s’est  jamais interrompu, les portes sont ouvertes à tous et nous continuons à travailler avec les professionnels, les hôteliers importants et ceux qui ont des difficultés. Ce n’est pas seulement avec le président de la FTH qui ne représente que sa personne que nous établissons le dialogue. D’ailleurs, il fait partie du passé, du temps de Ben Ali plus précisément, d’autant que c’est le seul syndicat patronal et ouvrier dont les bureaux n’ont pas été renouvelés  depuis la révolution. Le congrès de la FTH est prévu vers la fin de l’année 2012 et j’espère qu’un nouveau bureau sera élu, plus en phase avec la révolution et une meilleure représentativité de la profession.

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