mardi 27 novembre 2012


Retrovision
Chronique d’un quartier déshérité
Fi Samim (Dans le mille) l’émission qui, au commencement, proposait, sur Ettounsia, des enquêtes d’investigation a, au fil du temps, changé de fusil d’épaule, ou plus précisément de genre, versant  dans le reportage. Ce qui ne veut point dire que les téléspectateurs  ont perdu au change. L’avant-dernier reportage sur les Oukala, sises en plein centre de la Médina de Tunis, a véhiculé des images plus que parlantes reflétant la condition humaine  misérable, de ces laissés pour compte, chaque personnage pouvant être l’antihéros ou le héros pathétique d’un roman, d’un film ou d’une pièce de théâtre.
Toutes ces séquences ont été filmées, certainement dans le but de toucher et d’interpeller les uns et les autres, notamment les autorités publiques et la municipalité de Tunis afin qu’elles daignent, enfin, aider ces «damnés de la ville» et trouver quelques solutions aux multiples problèmes dont ils souffrent. Des problèmes sanitaire, d’hygiène, de promiscuité, de logements et de dénuement surtout. Mais, ces habitants d’oukala ne sont pas les seuls à connaître de tels maux, puisque dans le dernier numéro de Fi Samim le concepteur et présentateur Zouhaeir Letaeif a continué sur sa lancée en promenant la caméra dans un quartier déshérité et réputé difficile, Hay Hllal, où se sont regroupés des migrants du Nord Ouest, les Ouled Ayar.
Et on découvre, loin des préjugés, des personnages pétris d’humanité vivant dans des conditions horribles, inhumaines, où le chômage, la pauvreté, les semblants de logements insalubres, des gourbis en fait, la promiscuité, la saleté, les immondices, les moustiques, sont leur lot quotidien. D’où les vols, les rapines, l’addiction à l’alcool et à la drogue dont souffrent des jeunes et moins jeunes. Des habitants du quartier, entre femmes, hommes et enfants, ont témoigné regrettant qu’ils soient toujours «Les éternels oubliés et laissés pour compte». Pourtant «Nous avons tant espéré, a confié un ancien détenu, lors de la Révolution. Nous avons tous voté pour Ennahdha, mais ce parti nous a ignoré et tourné le dos. Pourquoi ? Ne sommes-nous pas des êtres humains, regardez dans quelles conditions impossibles et  insoutenables nous vivons avec en sus l’injustice des forces de l’ordre, cela quand ils leur arrivent de pénétrer dans le quartier… ». Car l’on saura, au fil du reportage, que le poste de police est déserté par les policiers depuis deux ans. Grave pour un quartier comptant des milliers d’habitants. En attendant ce sont les séniors, sages du quartier, qui tranchent en cas de conflits ou de tensions. Il est, par ailleurs, impossible de ne pas relever le témoignage émouvant d’un petit écolier déplorant que «l’odeur nauséabonde des montagnes d’ordures jouxtant l’école l’empêche, lui et ses camarades, de se concentrer».
Ce reportage vient relativiser les credo de certains politiques, journalistes et membres de la société civile qui peuvent croire que la liberté d’expression pourrait être une demande pressante de citoyens qui vivent dans une misère noire. A preuve le témoignage d’un des habitants dépités et très en colère de Hay Hllal: «Quelqu’un m’a dis réjouis toi, la révolution nous a apporté  la liberté d’expression, j’ai répondu que  je m’en contrebalançais car elle ne me nourrira pas moi et mes enfants». Bref, dans leurs propos, complaintes et chansons populaires la plupart de ces témoins paraissaient désabusés, exaspérés, courroucés n’ayant plus du tout confiance en quiconque parmi les politiques. Parmi eux le doyen du quartier, ancien militant de la libération nationale qui a lancé furieux : «tous les politiques sont des menteurs et cela depuis l’ère Bourguiba, tous, jusqu’à aujourd’hui, roulent pour leur propre intérêt et jamais pour celui de la Tunisie».Mais ce qui est sûr c’est que petits et grands ont montré beaucoup d’amour pour leur fief qu’ils défendent  bec et ongles. Ils l’aiment et y reviennent toujours, même quand ils réussissent, tel un chanteur célèbre de Mezoued. «Hay Hllel est un quartier comme un autre, il n’y a pas de grandes délinquances, ni de crimes et même pendant la Révolution il n’a connu aucun incident» explique un des aînés.
Le reportage a ainsi contribué à gommer quelque peu cette idée reçue concernant ce quartier réputé infréquentable, mais aussi à mettre à nu la réalité marquée par des conditions de vie très dures, inacceptables au 21ième siècle. Toutefois, les propos des habitants de Hay Hllel seront-ils entendus, ces derniers verront-ils leur situation s’améliorer ? Répondre à cette question est difficile, quand on sait que, de par le pays, il y a tant de quartiers qui connaissent la même misère contre laquelle s’est déroulée la Révolution. Il est certain que, jusqu’ici , il n’y a ni planification, ni politique d’amélioration des conditions de vie de ces gens-là qui n’ont en cure des palabres politiques a fortiori quand rien n’a changé dans leur quotidien, malgré la Révolution de tous les espoirs.
S.D.

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