samedi 24 novembre 2012

Les chevaux de Dieu de Nabil Ayouche (En compétition)


Yachine et ses "frères" 

• Bouleversant

Le film s’ouvre sur un terrain vague, jouxtant une immense décharge publique, où des gamins jouent au foot : ce décor n’est autre que le bidonville de Sidi Moumen, quartier très pauvre et marginalisé, d’où sont issus les jeunes qui ont commis les attentats de Casablanca il y a plus de 9 ans. Inspiré de ces dramatiques événements qui ont entraîné la mort de 45 personnes dans cinq lieux différents, Les Chevaux de Dieu de Nabil Ayouch remonte le cours du temps, à travers une chronique quotidienne de ce bidonville et de certains de ses personnages, afin de tisser la trame de cette sanglante tragédie. Le scénario signé Jamal Belmahi est adapté du roman Les étoiles de Sidi Moumen de l’écrivain Mahi Binebine.
Tarek, alias Yachine, 10 ans, est un fan du grand gardien de but russe. Timide, il porte un amour secret pour Ghislaine qu’il sait inatteignable. Il subit l’ascendant de son frère, Hamid, 13 ans, un petit caïd qui le protège, mais qui finira quelques années plus tard par être incarcéré après avoir caillassé une  voiture de police. Hamid est le préféré de sa mère qui mène, tant bien que mal, la barque familiale comptant, également, un père dépressif et deux autres fils, l’un dans l’armée et l’autre autiste. A travers le vécu imaginé et non reconstitué des personnages principaux et de ce microcosme familial, le réalisateur marocain dépeint la dure réalité sociale qui prévaut dans ce quartier où règne la misère, le chômage et le désespoir, d’autant que le vol, le viol, la drogue, le meurtre sont monnaie courante.
Le film déroule le parcours douloureux de ces deux frères, depuis l’enfance jusqu’à la jeunesse, quand au fil d’une vie sans repères, vu l’absence du père, les issues se bouchent et les âmes se fragilisent. Ce dont vont profiter les islamistes radicaux, artisans de la mort, afin d’embrigader ces laissés-pour-compte et ces consciences détruites par un milieu social funeste, des relations familiales délétères, des amours impossibles et autres sinistres drames. Ainsi, Hamid,  qui sort transformé de la prison entraînera avec lui Tarek et ses amis, meurtris par les vicissitudes de la vie, sur le chemin de l’horreur et de la mort. Il faut dire qu’ils sont pratiquement tous prêts à toutes sortes de manipulations qui vont jusqu’à l’intériorisation du fait de s’exploser et de mourir en martyr.
Filmé, tel une chronique, de manière conventionnelle, Les Chevaux de Dieu se décline en trois temps : l’adolescence des personnages et leur jeunesse avant l’incarcération de Hamid et après sa sortie de prison. Le passage de l’adolescence à  la jeunesse est merveilleusement réussi, le réalisateur nous renvoie à la scène d’ouverture en filmant les personnages, devenus jeunes, jouant au foot sur le même terrain vague. Et l’on reconnaît tout de suite Hamid, comme quand il était ado avec sa chaîne enroulée autour de la main et du bras et Yachine toujours au poste de gardien de but. Une belle trouvaille.
Dans les deux premiers temps, la caméra est portée pour rendre compte de l’énergie et des soubresauts de la vie. En revanche, dans la dernière étape du parcours des personnages centraux,  la caméra se pose, s’assagit, car la préparation physique et mentale des nouvelles recrues, par les «frères», commence. Cela jusqu’au moment où l’Imam Abou Zubair leur annonce qu’ils ont été choisis pour devenir des martyrs...et leur donne rendez-vous au paradis. La scène marquante où il donne l’accolade à Yachine incarne le comble de la manipulation. D’où le titre du film, car l’expression « Volez Chevaux de Dieu » signifie l’appel au Djihad.
La qualité et la force de la dernière partie du film sont dues au fait que Ayouch filme les «frères» radicaux sans jamais vouloir les rendre antipathiques ou détestables, de manière primaire, il n’y va pas par le sentiment mais par la raison, la logique et la déduction. Aussi,  démonte-t-il tout le mécanisme complexe qui conduit à la manipulation des esprits, tout en le dénonçant de façon claire et nette. Comment peut-on convaincre des jeunes de semer la mort en s’explosant ? Comment des extrémistes en arrivent-ils à mettre sous leur emprise ces quartiers de la misère et du désespoir ? Si ce n’est en raison de la pauvreté, du manque d’éducation, de structures familiales et d’institutions publiques prenant en charge enfants, ados et jeunes. Très documenté et fouillé, ce film a, de ce fait, des allures de documentaire. Ce qui est accentué par «le casting sauvage», si réussi, les acteurs n’étant nullement des professionnels. Cela afin de sauvegarder ce côté réalité-fiction.
Abdelhakim Rachid (Yachine) et Abdelilah Rachid (Hamid), les interprètes des rôles des deux frères, et tous les autres, d’ailleurs, sont, il est vrai, d’un naturel incroyable. C’est qu’ils sont eux-mêmes issus du bidonville de Sidi Moumen.
Ainsi, comme il y a plus de dix ans avec Ali Zaoua, le prince de la rue, inspiré de Pixote, la loi du plus faible du Brésilien Hector Babenco, Ayouch marque les JCC avec un opus bouleversant et émouvant, bien écrit, filmé, casté, musiqué et joué.
Jusqu’ici c’est vraiment le film du festival. Tanitable.
Auteur : Samira DAMI

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