vendredi 17 mai 2013

Exclusif : Entretien avec :Hamouda Ben Slama, coordinateur général de la commission d’enquête sur les événements du 4 décembre :« L’affaire a migré vers le champ politique et médiatique »


L’Ugtt a livré, samedi dernier, dans un rapport sa version des faits des événements du 4 décembre 2012. Hamouda Ben Slama, coordinateur général de la commission d’enquête mise sur pied, suite à un accord entre le gouvernement et l’Ugtt, déplore la présentation de façon unilatérale par la Centrale ouvrière d’un rapport sur ces événements.
Ce qui représente à ses yeux «une erreur», d’autant que la précipitation de la part de l’Ugtt n’a pas permis à la commission d’aller au fond des choses. Selon lui, «les membres de la commission n’ont pas encore entendu tous les protagonistes et visionné toutes les vidéos des scènes de violences verbales et physiques» dont la Place Mohamed-Ali était le théâtre.
Pour en savoir plus, nous l’avons approché. Il a bien voulu nous donner sa version des faits. Entretien.
Comment expliquez-vous le blocage au sein de la commission d’investigation sur les événements du 4 décembre ?
J’estime que dès le départ, lors de la mise sur pied de la commission d’investigation sur les événements du 4 décembre 2012, nous aurions dû faire attention et être plus vigilants.
Il était nécessaire de mettre les points sur les i : comment être à la fois juge et partie ? Comment avoir nommé deux présidents à la tête de la commission ? Comment avoir désigné à parts égales cinq représentants de l’Ugtt et autant du gouvernement ? Tout ça pose problème.
Ce sont des éléments auxquels nous n’avons pas donné d’importance, mais qui ont favorisé le blocage. Il est vrai que cette commission a été créée dans la précipitation et sous la menace d’une grève générale, mais il faudrait désormais faire attention en mettant sur pied ce genre de commission. Certes, dès le départ, nous savions que cela allait être difficile, mais on a dépassé les écueils, on se connaissait tous, outre que sur les dix membres de la commission sept sont des spécialistes du droit. Voilà qui m’a amené à balayer les réticences que j’avais. Certes, on ne pouvait pas empêcher la délégation désignée par la Centrale ouvrière de défendre l’Ugtt, mais on n’était pas obligés d’épouser son point de vue non plus.
Quelle a été la principale pierre d’achoppement au sein de la commission ?
Au commencement des travaux, nous avons mis sur pied, d’un commun accord, un programme d’action en trois étapes et une méthodologie pour écouter des personnes des deux parties visionner des vidéos et en discuter par la suite afin d’élaborer le rapport final. Nous avons également établi un ensemble de règles : s’abstenir de faire des déclarations avant la fin des travaux, ne pas partir avec des a priori et travailler dans l’harmonie autant que faire se peut. Je suis accusé d’être proche d’Ennahdha, mais peu importe, chacun de nous a sa propre personnalité et son propre poids.
Après un mois, on a été surpris de voir les représentants de l’Ugtt faire une lecture littérale de l’accord qui consistait à terminer les travaux au bout d’un mois. Or, les représentants de la délégation du gouvernement ne demandaient que quelques jours de plus, dix au maximum,  pour achever le rapport.
Mais les représentants de l’Ugtt ont refusé estimant qu’ils sont tenus par des accords avec la commission administrative et le bureau exécutif de la centrale qu’ils doivent consulter. Il y a eu donc blocage après une douzaine de réunions très sérieuses avec visionnage des vidéos, prise en compte des documents, notamment du rapport du ministère de l’Intérieur sur ces événements. Bref, le 1er février, les travaux ont été arrêtés, mais on pensait les reprendre après consultation des représentants de l’Ugtt avec leur centrale.
Mais avec l’assassinat de Chokri Belaïd, le 6 février, et le feuilleton du remaniement ministériel, on pensait qu’il était normal qu’il y ait quelques jours de flottement.
Mais ce flottement a duré un mois et 20 jours. Et comme j’étais le coordinateur général, j’ai écrit une lettre officielle au gouvernement et à l’Ugtt demandant s’il fallait continuer ou non nos travaux.
Il a été décidé dans les 48 heures de nous permettre de poursuivre nos réunions. Nous avons donc repris le 25 mars, mais dès le début de la réunion, les représentants de l’Ugtt nous ont signifié qu’il s’agissait de la dernière réunion, nous soumettant un rapport préparé de manière unilatérale. C’est là le premier point de désaccord.
Le 2e élément de blocage consiste en le refus des représentants de l’Ugtt de prolonger le délai de remise du rapport d’une dizaine de jours. Je respecte leur position, mais je considère que c’était là un diktat qui a perturbé les travaux de cette commission.
Justement, les représentants de l’Ugtt estimaient probablement qu’allonger encore et encore la durée des travaux était là une manière de les mener en bateau ?
Je sais. Ils ont affirmé avoir leurs propres convictions et que la rallonge d’une dizaine de jours était une perte de temps, parce que nous voulions innocenter les membres des Ligues de protection de la révolution, mais il fallait nous donner le droit d’avoir notre propre point de vue. Comment pouvions-nous tirer des conclusions alors que nous n’avions pas une idée définitive sur les tenants et aboutissants des évènements. D’autant que les cinq représentants du gouvernement n’étaient pas du même avis sur ce qui s’est passé à la Place Mohamed-Ali. Pour ma part et de par ma formation,  je suis enclin à dépasser un certain formalisme. Car je me suis demandé pourquoi un grand nombre de membres des Ligues de protection de la révolution sont venus dans ce lieu même et le jour même où on célébrait la commémoration de la disparition de Farhat Hached. Mais il faudrait aussi reconnaître que les magistrats membres de la commission ont leurs propres arguments probablement plus forts que les miens. Il ne faut pas suivre la vox populi. Il faut savoir travailler sereinement et tirer, par la suite, les conclusions.
Je comprends que l’Ugtt prenne en considération l’avis de l’opinion publique syndicale et populaire, mais en tout état de cause, c’est ensemble qu’on aurait dû finaliser le rapport mais on ne peut accepter un rapport unilatéral.
Nous avons proposé aux représentants de l’Ugtt lors de la dernière réunion du lundi 25 mars de présenter un rapport commun, mais contradictoire, mais ils ont refusé.
Etant le  plus âgé des membres de la commission, j’ai pris mon bâton de pèlerin et j’ai rencontré le chef du gouvernement Ali  Laârayedh et le secrétaire général de l’Ugtt, Hassine Abassi, pour défendre l’utilité d’un rapport commun afin de rapprocher les points de vue des uns et des autres. Jusqu’à samedi dernier, nous espérions l’élaboration d’un rapport commun. En vain, puisque l’Ugtt a présenté son rapport lors d’une conférence de presse,   samedi 6 avril.
Maintenant allez-vous présenter votre propre rapport au chef du gouvernement ?
Nous avons décidé, en tant que délégation représentant le gouvernement, de présenter notre  propre rapport au chef du gouvernement, demain mercredi, et il prendra les décisions qu’il juge utiles et appropriées.
Comment l’opinion publique peut-elle faire la part des choses et se faire une idée face à deux rapports différents ?
Il y aura donc deux points de vue et c’est au gouvernement et aux décideurs politiques de faire la part des choses. Pourquoi ne pas positiver et admettre que ces deux rapports peuvent être complémentaires, le consensus n’est pas impératif à ce que je sache.
Peut-on avoir une idée sur la tendance de votre rapport ? 
La bienséance exige de remettre le rapport pour lequel nous avons été mandaté, en vertu d’un accord entre le gouvernement et l’Ugtt, au chef du gouvernement en premier lieu, afin qu’il prenne les  décisions adéquates.
Nous sommes donc tenus de le présenter au chef du gouvernement et ce n’est pas bienséant de donner la primeur aux médias avant le gouvernement. Il est normal que l’opinion publique soit informée, mais en second lieu. Mais je peux dire que la divergence concerne notamment la méthodologie. D’abord, nous n’avons pas entendu toutes les parties concernées et nous n’avons pas visionné  toutes les vidéos qui existent.
Ensuite, affirmer d’emblée que la responsabilité incombe aux LPR à 1000%, c’est prendre un raccourci. Vous savez, dans ce genre d’événements, ce n’est jamais tout noir ou tout blanc. Commencer une investigation par la fin ne relève pas de mon approche.
Certes, des gens ont investi la Place Mohamed-Ali, certes on  scandait des slogans, on proférait des insultes dans une atmosphère de violence. Ce qui a joué un rôle dans les événements, mais la responsabilité n’est pas toujours à 100% là où on croit qu’elle se trouve.
Selon vous, la responsabilité est donc partagée ?
Sans rentrer dans les détails, la responsabilité est réelle et se situe à des degrés divers. Si on nous a laissé terminer les investigations et le rapport, on aurait pu répondre aux attentes de l’opinion publique.
Livrer un rapport de manière unilatérale est une erreur. On aurait pu et dû nous faire confiance afin que nous puissions aller au fond des choses et présenter un rapport pluriel. Je vais vous dire: nous avons vu, sur les vidéos, des personnes taper sur d’autres, nous avons vu des personnes appeler au calme, nous avons vu des policiers en civil, des badauds, mais je peux dire que jusqu’à maintenant nous ne savons pas qui est qui et qui a commencé à user de la violence et à quel moment précis ?
De par ma nature et ma formation, je refuse la violence aussi bien verbale que physique, a fortiori dans le domaine politique. Car ça parasite tout. Mais je ne peux engager ma responsabilité d’autant que je n’ai pas tout vu. Il reste encore à voir des vidéos que devaient nous fournir le ministère de l’Intérieur, l’Ugtt et le président de la Ligue de protection de la révolution. A défaut, nous n’avons pas pu aller au fond des choses.
Comment, expliquez-vous la décision de l’Ugtt de présenter son rapport unilatéralement ?
 Je ne sais pas, mais peut-être que les évènements qui se sont déroulés dernièrement dont l’assassinat de Chokri Belaïd y sont pour quelque chose. Peut-être aussi des enjeux politiques partisans, ce qui est sûr, c’est qu’il y a eu un changement de comportement. A l’Ugtt ils savent qu’on a réalisé une bonne partie du travail et tout arrêter pour une rallonge d’une dizaine de jours au maximum, c’est réellement surprenant.
Pensez-vous qu’il est possible que la commission reprenne ses travaux ? 
Non c’est fini. Ce n’est plus possible de reprendre les travaux malgré l’estime et les bonnes relations qui ont prévalu, entre tous, au sein de la commission.
Mais maintenant, l’affaire a migré vers le champ politique et médiatique.
Auteur : Entretien conduit par Samira DAMI
Ajouté le : 09-04-2013

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