mardi 7 mai 2013

Grève générale des magistrats: les raisons d'un débrayage


 Les magistrats observent, aujourd’hui, une grève générale dans tous les tribunaux du pays. L’enjeu n’est autre que le projet de loi relatif à la création d’une instance provisoire de la magistrature qui ne garantit pas, selon le SMT (Syndicat des magistrats tunisiens) et l’AMT (Association des magistrats tunisiens), l’indépendance de la magistrature et suscite la crainte d’une mainmise des pouvoirs exécutif et législatif sur le pouvoir judiciaire.
Ainsi, le SMT et l’AMT appellent à la révision de quelques articles du statut général des magistrats de 1967 jugés contraires à l’indépendance de la justice. Mais, quels sont les points les plus pressants qui ont poussé à la grève générale de l’ensemble du corps de la magistrature ?
Approchée par La Presse, Raoudha Laâbidi, secrétaire générale du SMT, explique: «La composition de l’Instance provisoire de la magistrature constitue une voie passante à la politisation de la justice. Le principe de désignation à hauteur de un tiers des membres de cette instance par les trois présidents respectifs, de la République, du gouvernement et de l’Assemblée constituante, est une sorte de mainmise totale sur l’instance. Nous refusons donc que des membres étrangers à la magistrature soient représentés dans cette instance qui devrait être uniquement composée de magistrats».
Le texte de loi proposé par l’ANC stipule que l’instance doit être composée de 15 membres, dont cinq magistrats élus, cinq désignés représentant toutes les fonctions de la magistrature et cinq autres appartenant à la société civile désignés par les trois présidences.
C’est ce que rejette le SMT, selon Raoudha Laâbidi, qui ajoute: «Que des étrangers  à la profession interviennent dans le déroulement de la carrière, les avancements et sanctions, au cas où un magistrat serait traduit devant le conseil de discipline. C’est tout simplement inadmissible, car cela ouvrirait la porte à l’allégeance non seulement à l’égard des pouvoirs exécutif et législatif mais aussi vis-à-vis des partis politiques.
Que cette instance soit ouverte à tous les pouvoirs politiques, à la société civile et aux partis, c’est porter atteinte à son indépendance. L’idéal serait que le Conseil supérieur de la justice soit remplacé par deux instances : l’une exclusivement consacrée à la profession et une autre instance mixte qui réfléchirait sur les réformes nécessaires dans le domaine».

«Divergence d’arguments»
De son côté, Ahmed Rahmouni, président de l’Observatoire tunisien de l’indépendance de la magistrature, affirme que la grève, décidée également par l’AMT, est une forme de protestation de la  base à propos de certaines orientations du projet de  création de l’Instance provisoire de la magistrature.
«Au cours de l’assemblée extraordinaire tenue  mardi 26 mars, les magistrats ont relevé une somme de garanties positives, tout en avertissant que, telle que préconisée dans le projet de sa création, la composition de l’instance ne répond pas aux critères internationaux garantissant son indépendance surtout que le  tiers des magistrats qui la composent est désigné par les pouvoirs exécutif et législatif. Ce qui, à leurs yeux, favorise la politisation de l’instance».
Concernant la convergence des positions du SMT et de l’AMT sur la nécessité d’observer une grève générale, Ahmed Rahmouni nous précise qu’elle ne relève pas de la même logique. Il est vrai que la pierre d’achoppement réside dans la composition de l’instance, mais les arguments divergent.
«Je suppose, glisse-t-il, que le SMT se dirige vers le blocage du projet qui favorise l’immunisation et l’interdiction en posant des conditions pour se porter candidat à l’instance.
Car la candidature est interdite aux magistrats qui ont été partie prenante dans des affaires et des procès politiques, du temps de Ben Ali, aux magistrats qui ont été actifs au sein du RCD, à ceux qui ont exhorté Ben Ali à se représenter en 2014 et à tous les anciens membres du Conseil supérieur de la magistrature du temps de Ben Ali, ainsi qu’aux membres des structures actuelles de la profession».
Ahmed Rahmouni, lui, a sa propre vision concernant la composition de l’Instance provisoire de la magistrature: «Il est clair que la justice suscite l’intérêt de tous et il serait regrettable de voir la justice s’enfermer dans une bulle hermétique. Ce qui était le cas du Conseil supérieur de la magistrature qui était, du temps de Ben Ali, composé uniquement de magistrats, à l’exception du président de la République et du ministre de la Justice. Ce qui était une sorte de mainmise sur le pouvoir judiciaire pour mieux servir la dictature.
Prenez l’exemple de certains pays dont l’Italie, le Conseil supérieur de la magistrature est composé de 2/3 de magistrats et de 1/3 de non magistrats désignés par les pouvoirs exécutif et législatif. Le but de ce choix n’étant pas de contrôler ou de politiser le Conseil, mais de garantir l’indépendance de la justice en l’ouvrant à la réflexion et aux opinions d’autres corps de métiers, avocats, juristes, etc. Cela à l’instar de l’instance de l’information et des médias qui sera prochainement créée».
Enfin, du côté du ministère de la Justice, contacté, Adel Riahi,  chargé de la communication, nous a déclaré que «les magistrats sont libres de décider d’observer une grève générale ou pas, le ministère de tutelle n’ayant pas à s’impliquer dans cette affaire. Affirmant, par ailleurs, qu’il faudrait s’attendre à des nouveautés dans la relation entre le ministère et la profession qui seront annoncées à l’orée du mois d’avril».
Auteur : Samira DAMI
Ajouté le : 28-03-2013

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