vendredi 17 mai 2013

Instance provisoire de l’ordre judiciaire — Le projet de loi enfin adoptéLe syndicat refuse de baisser les bras


 • L’AMT adopte une position nuancée

C’est fait. Le projet de loi portant création de l’Instance provisoire de l’ordre judiciaire (Ipoj) a été adopté hier, à l’ANC, en plénière, avec 151 voix pour et 4 absentions.
Les articles 5, 6, 8, 9, 11, 16, 18 et 22 de ce projet de loi ont été débattus et adoptés lors de la séance d’hier. En revanche, l’article 20 concernant le transfert des prérogatives liées aux nominations, mutations, promotions et procédures disciplinaires du ministre de la Justice à l’Instance a été rejeté par les constituants la veille.
«L’article concerné s’oppose en effet à l’article 22 prévoyant que l’Ipoj vient remplacer le conseil supérieur de la magistrature», a expliqué Nadhir Ben Ammou, ministre de la Justice à cette occasion.
«Nous n’avons pas l’intention de revenir aux anciennes pratiques, mais le ministère de la Justice aurait-il encore une raison d’être si cet article était retenu?», s’est-il interrogé. C’est pourquoi il est indispensable, à ses yeux, que le ministère de la Justice garde certaines prérogatives qui lui permettront d’apporter les réformes nécessaires à la justice.
Pour connaître les appréciations et les positions des structures de la profession concernant la mouture de ce projet de loi tel qu’il a été adopté, La Presse a approché Mme Raoudha Laâbidi, présidente du Syndicat des magistrats tunisiens (SMT), et Mme Raoudha Karafi, vice-présidente de l’Association des magistrats tunisiens (AMT). 

Mme Raoudha Laâbidi, présidente du SMT : «Nous ne sommes pas satisfaits»

Le projet de loi portant création de l’Instance provisoire de l’ordre judiciaire ne nous satisfait pas tel qu’il a été adopté. C’est parce que nous estimons qu’il y a politisation de la justice à travers l’article 22 qui concerne la composition de l’Instance et dont cinq de ses membres sont désignés par l’ANC. Il s’agit pour nous d’une question de principe, car les cinq membres désignés par l’ANC n’appartiennent pas au corps de la magistrature.
Pis encore, deux des membres parmi les cinq personnes désignées appartiennent à l’avocature. Comment voulez-vous qu’un magistrat soit neutre et objectif face à un avocat membre de l’Instance?
Voilà qui représente un déficit de confiance dans la justice.
Nous constatons que l’article 18 marque une certaine dualité dans la fonction du ministère de la Justice et de l’Instance, car l’itinéraire professionnel et la gestion des carrières des magistrats entre nominations, mutations, promotions et procédures disciplinaires  relèvera à la fois de l’Instance et du ministère de la Justice. Ce qui maintient la mainmise du ministère sur la magistrature et pérennise les prérogatives de l’Exécutif sur le Judiciaire. Comment peut-on parler, dans ce cas, d’indépendance de la justice? Nous pensons que cette dualité vide l’Instance de ses prérogatives.
Idem pour l’article 16 où le ministre de la Justice a un droit de regard sur la procédure disciplinaire, puisque c’est lui qui communique à l’Instance le rapport de l’inspection générale concernant un quelconque cas disciplinaire. Il peut donc décider de ne pas le communiquer. Et Nadhir Ben Ammou, le ministre de la Justice, l’a bien martelé à l’ANC, lors de la séance d’adoption du projet de loi: «Quelle serait la raison d’être du ministère et du ministre :  garder les murs ou se tourner les pouces ?». On comprend donc que cet acharnement à garder de telles prérogatives ne vise qu’une chose: mettre à genoux la justice et l’empêcher d’être indépendante.
L’article 20 n’a pas été non plus adopté pour les mêmes raisons. Or, il s’agissait de revoir les nominations, mutations et révocations, décidées depuis janvier 2011 jusqu’à ce jour.
Maintenant, il est clair que l’adoption de ce projet de loi comporte certains points positifs, mais la colère des magistrats concerne notamment la composition de l’Instance. On compte faire pression, mais le syndicat  communique sa position finale suite à l’Assemblée générale qu’il tiendra le samedi 4 mai prochain.

Mme Raoudha Karafi, vice-présidente de l’AMT : «Un pas important contre le vide institutionnel»

A  première vue, l’adoption du projet de loi portant création de l’Instance provisoire de l’ordre judiciaire est un pas important pour combler le vide institutionnel et la mainmise de la gestion des carrières professionnelles des magistrats dans un but de neutralité et d’objectivité.
Certes, le caractère provisoire de l’Instance et le temps limité pour sa mise sur pied n’ont pas permis d’y conférer toutes les garanties nécessaires.
On aurait préféré que la loi soit plus claire, moins générale et moins vague concernant les prérogatives du ministre de la Justice qui peuvent être sujet à interprétation.
Mais même si l’article stipulant que les prérogatives du ministre concernant les nominations, mutations, promotions et procédures disciplinaires et qui devaient être léguées à l’Instance a été rejeté, cela ne veut pas dire que tout est bouclé et terminé, car la bataille sera encore longue et nous allons confronter les lois de 1967 et la nouvelle loi pour faire en sorte que la carrière des magistrats ne relève que de la compétence de l’Instance.
D’ailleurs, cette lecture a été faite à l’ANC et l’interprétation de la loi dépend aussi des travaux préparatifs à l’adoption du projet de loi.
On aurait également préféré que la composition de l’instance et le choix de la mixité des conseils supérieurs de la magistrature soient inscrits dans la Constitution. Il aurait été plus judicieux d’adopter, d’autre part,  la dissolution du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) car on peut craindre que la mise sur place de l’instance ne soit entravée et que le CSM ne s’éternise.
On déplore également que l’une des revendications de l’AMT, soit la révision des révocations des magistrats, relève de la compétence de l’instance, ce qui a été rejeté par l’ANC. On ne comprend pas non plus pourquoi les élections des magistrats se font par grades, alors qu’une élection inclusive de tout le corps aurait été plus représentative et plus démocratique. On ne comprend pas non plus pourquoi les élections de l’instance se font sous la responsabilité de l’ANC et de la magistrature, alors que la responsabilité de cette dernière aurait suffi.
Nous estimons, enfin, qu’il vaut mieux que cette instance soit créée afin de ne pas laisser la voie libre au ministère de la Justice.
Concernant notre position finale, nous prendrons une décision définitive après un retour à nos instances et à notre base.
Auteur : Propos recueillis par Samira DAMI
Ajouté le : 25-04-2013

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